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Ci-dessous retrouvez nos trois billets déjà consacrés à ce thème :

Ministère de l’Education Nationale : 200 000 profs harcelés ! (1) Chiffre officiel pour un déni officiel…

Ministère de l’Education Nationale : 200 000 profs harcelés ! (2) Un chiffre officiel … que le Ministère se garde bien de commenter.

Ministère de l’Education Nationale : 200 000 profs harcelés ! (3) Pas assez pour que les choses bougent ?

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Ministère de l’Education Nationale : 200 000 profs harcelés ! (4)

200 000 profs harcelés : voilà le chiffre officiel qui embarrasse le Ministère de l’Education Nationale (et qui deviendrait véritablement embarrassant si les principaux syndicats enseignants jouaient réellement leur rôle de syndicats).

Le Ministère veut-il le changement ? Pas du tout ! Aucune mesure n’est proposée pour réguler les abus de pouvoir des chefs d’établissement. Aucun contre pouvoir. Aucun contrôle. Au contraire, au fil des réformes, il s’agit de laisser toujours davantage de latitude et de puissance de nuisance aux chefaillons et chefaillonnes.

Une question se pose. Comment escamoter les 200 000 victimes, et surtout, comment disculper, dédouaner, couvrir les milliers de chefs d’établissement exerçant en 2013 des formes de harcèlement sur « leurs » enseignants ? 

La technique est simple, efficace, parfaitement rodée, et bien ancrée dans l’institution scolaire. Psychiatriser les victimes. Une enseignante de maternelle évoque une tentative de viol de la part de son directeur d’école ? Elle est complètement cintrée, elle affabule, et tout le village de ricaner et de glousser en évoquant cette pauvre frustrée qui vit seule et ne fait pas « comme les autres ». Un professeur d’histoire conteste les rapports mensongers de son principal ? On fera courir le bruit qu’il insulte et frappe ses élèves pendant ses cours, et on glissera aux oreilles attentives que s’il se montre toujours calme et poli à l’extérieur de sa classe, c’est certainement qu’il a des tendances schizophréniques et une « double personnalité » (les collègues relayant la rumeur obtiendront des promotions et un meilleur salaire). Une vacataire décline les propositions de promotion canapé et en réfère au SNES et à l’Inspection Académique ? Elle boit et a des accès de paranoïa : son contrat temporaire ne doit pas être renouvelé (le SNES n’a aucune trace de ses appels au secours, c’est ballot d’avoir naïvement fait confiance à ce syndicat pour se protéger…).

La technique est vieille comme le monde, et – osons la comparaison, toutes proportions gardées – tous les régimes totalitaires travestissent leurs opposants en prisonniers de droit commun, ou en fous dangereux. Avant de dévorer l’agneau, le loup de la Fable ne cherche-t-il pas mille prétextes pour justifier son crime bestial ?

La psychiatrisation des victimes de harcèlement dans l’Education Nationale ? Six éléments d’explications, de réflexion et de preuves parmi des milliers que vous pouvez retrouver par vous-mêmes.

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1) Le rapport du Ministère n’évoque jamais le harcèlement « vertical », le harcèlement par un supérieur hiérarchique. Il ne le reconnaît pas. Ecran de fumée : il met en avant le harcèlement des élèves par les élèves (voire des élèves par les enseignants n’ayant pas renoncé à l’autorité et au respect… la bonne blague à laquelle adhèrent trop de parents d’élèves). Il ne propose donc aucune piste pour calmer les chefaillons harceleurs. En revanche, il envisage ce qu’il appelle « un meilleur maillage de notre réseau d’alerte et d’accompagnement des victimes ».

Faut-il comprendre, en clair, que dès qu’un fonctionnaire est en passe de dénoncer un « dysfonctionnement » d’un supérieur (soupçons de viol, de pédophilie, de détournement d’argent public, d’irrégularités financières, de harcèlement, etc.), le « réseau d’alerte » se met en place ? L’Inspection Académique et le Rectorat sont « alertés » de ce qu’il faut le faire taire, régler cela « en interne », afin d’éviter que l’Administration soit touchée par un scandale ? Est-ce qu’on dira que ce fonctionnaire qui en sait trop est dingue, et qu’il faut « l’accompagner », le soigner très vite ? On le convoquera devant un médecin du rectorat qui « prendra acte de sa souffrance » et le mettra au placard, c’est bien cela ? Voyons ci-dessous si c’est ainsi qu’il faut l’entendre…

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2) L’ « accompagnement des victimes » … Nous l’avons dit : il ne faut pas y voir une reconnaissance de l’existence de victimes, donc un premier pas vers la reconnaissance de l’existence de bourreaux. Il s’agit d’accompagner la souffrance, pas de l’éviter. Pas d’en chercher l’origine, la cause, le responsable. Pas de demander des comptes au principal de collège abusant d’un pouvoir inversement proportionnel à son degré d’honnêteté. Il ne s’agit pas d’éviter cette souffrance, mais de l’entretenir. Oui, de l’entretenir ! Et d’installer une victime dans un statut de malade. Vous avez l’impression d’être harcelé ? Vous avez l’impression que ce n’est pas juste ? Vous n’acceptez plus que votre collègue de français qui accumule les fautes d’orthographe gagne le double de votre salaire en faisant trois fois moins de travail, parce qu’elle couche avec le proviseur au vu et au su de tout le lycée ? Vous êtes un peu fatigué ! Vous devriez vous reposer. Vous êtes complètement dingo. Nous allons vous « accompagner ». Nous allons vous soigner. Nous allons vous installer durablement dans un statut de malade, ce qui, à part vous, arrangera tout le monde.

Les professeurs faisant état de dysfonctionnements de l’administration, de l’acharnement de chefaillons, de formes de harcèlement moral ne sont pas des malades. Il faut cesser de prétendre vouloir  les soigner.

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3) La psychiatrisation des lanceurs d’alerte est profondément ancrée dans la culture de l’Education Nationale. Sous couvert de prévention, on détecte et met très vite à l’écart le moindre lanceur d’alerte, on sait comment étouffer dans l’oeuf la moindre tentative de rébellion des victimes. C’est une des raisons pour lesquelles il n’y a pas davantage de suicides spectaculaires d’enseignants, d’immolations dans les cours d’école, de tueries à l’arme à feu en lycée. La victime du harcèlement a confiance en son administration, à laquelle elle se livre pieds et poings liés : voir l’action sur le terrain des pseudos « médiateurs académiques », dont le rôle non avoué est de temporiser les choses avant de psychiatriser les fonctionnaires se tournant vers eux. La victime ne comprend que trop tard qu’elle est prise dans un système qui retourne, inverse les responsabilités, et la culpabilise. Elle doit se reposer, se mettre en arrêt maladie, patienter, prendre du recul, faire confiance et attendre pour pouvoir demain – berçons-la d’illusions – organiser sa défense contre un chef tout puissant et une administration n’offrant aucune prise. Une fois en arrêt maladie, on dira que la victime n’est pas solide, donc pas fiable. Et le tour est joué. Si elle refuse l’arrêt maladie, c’est une forcenée, contre laquelle l’administration redoublera d’acharnement, jusqu’à la mettre à pied sous n’importe quel prétexte, fusse-t-il complètement farfelu.

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4)  Le rapport du Ministère est clair. Contre le harcèlement, il propose… des soins aux victimes !

Lisons ce rapport, intitulé « point d’étape sur les travaux de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire ».

« Mieux accompagner les personnels en souffrance ou victimes de violences.
Le rapport 2011 du Carrefour Santé Social et les enquêtes de victimation menées ces dernières années montrent que l’exposition des personnels d’enseignement et d’éducation à des violences répétées est un facteur de difficulté, de tension, voire d’épuisement professionnel (burn-out).
Dans le cas de personnels confrontés au quotidien à un climat scolaire dégradé, la solidarité au sein de l’équipe pédagogique et le soutien de la hiérarchie constituent souvent la meilleure des réponses. Les milliers de participants aux différentes enquêtes de victimation insistent d’ailleurs sur l’importance de la réactivité et du soutien des collègues et de la hiérarchie lorsqu’un enseignant ou un personnel d’éducation doit faire face à des tensions répétées. « 

Magnifique ! Un enseignant harcelé par son principal trouvera la meilleure aide qui soit (« la meilleure des réponses ») en se tournant vers … son principal ! Bel aveu de l’absence totale de réponse de la part de l’institution scolaire. Bel aveu de la volonté à peine dissimulée par le Ministère de protéger les harceleurs. Après tout, des profs à la botte, c’est plus facile à diriger que professeurs qui tiennent debout…

« Pour les personnels en souffrance ou victimes de violences, cette aide interne à l’établissement peut cependant s’avérer insuffisante.  »

Noooooonnnnn ? Sans blague ? Et il a fallu ce rapport (dont le coût financier n’a pas été communiqué…) pour s’en rendre compte ? Bravo !

« L’éducation nationale a donc le devoir, en tant qu’employeur, de leur apporter des solutions d’accompagnement adaptées mais aussi durables.  »

Elle a ce devoir mais elle ne l’assume pas. Elle a ce devoir mais le fuit. Elle a ce devoir mais ne respecte pas les droits des victimes, même pas celui de se faire entendre au sein de l’institution scolaire.

« Or, s’il existe déjà de nombreux dispositifs d’appui, ceux-ci demeurent sous-utilisés faute de visibilité et d’accessibilité.

La réorganisation des dispositifs d’appui existants pour assurer un maillage territorial plus étroit.

La plupart des académies ont mis en place des dispositifs ad hoc : cellules d’écoute et d’assistance, réseaux d’aide, personnes ressources, etc.  »

De qui se moque-t’on ?  » Cellules d’écoute et d’assistance, réseaux d’aide, personnes ressources  » : ça c’est pour les profs qui craquent. Ca ne répond pas à la question du harcèlement. On voit bien comment le Ministère entretient délibèrement la confusion entre les victimes de harcèlement moral et les profs « fragiles » ou en proie au « burn-out ». CQFD.

Pour tout un tas de raisons, un professeur peut ne pas « assurer », ne pas tenir le coup, à un moment donné de sa carrière, et cela malgré toute la bonne volonté de sa hiérarchie pour l’aider à passer outre ses difficultés (Nous estimons que tous les chefs d’établissement ne sont pas des harceleurs… Raison de plus pour dénoncer les abus de pouvoir d’une minorité décomplexée en passe de devenir majorité et modèle pour toute la profession).

Pourquoi orienter les victimes de harcèlement vers ces structures d’aide aux personnes fragilisées ? Si ce n’est pour évacuer le problème en psychiatrisant ces victimes ?

Et le rapport continue de déployer toute une fausse panoplie d’aides et de solutions :   » À ceux-ci s’ajoutent les réseaux académiques de Prévention d’aide et de suivi (Pas) créés dans le cadre d’un partenariat entre la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) et le ministère de l’éducation nationale. Ils ont notamment pour objectif d’aider à la réadaptation sociale et professionnelle des personnes fragilisées ou atteintes de troubles psychiques, victimes d’accidents ou de graves maladies, qu’elles soient ou non adhérentes à la MGEN. « 

Des personnes fragilisées ou atteintes de troubles psychiques. C’est la dénomination, pour le Ministère, des victimes du harcèlement moral. Belle relecture des faits, les harceleurs ont encore de beaux jours devant eux.

 » Il s’agit d’un service anonyme et gratuit mis à la disposition de tous les personnels de l’éducation nationale qui éprouvent des difficultés d’ordre professionnel ou privé. Il permet aux enseignants de s’exprimer librement et de recevoir le soutien de psychologues extérieurs à l’éducation nationale.  »

Donc, quand un enseignant « s’exprime librement », alors, c’est qu’il a besoin de « recevoir le soutien de psychologues » ? Briser l’Omerta sur le harcèlement, c’est être fou ?

Pourquoi se tourner vers des professionnels de la santé plutôt que vers la justice, pour calmer les ardeurs des chefaillons ?

Et pourquoi se tourner vers des professionnels extérieurs à l’Education Nationale ? Au détour d’une phrase, on se décharge du problème, on l’évacue en dehors du champ de l’Education Nationale. Le Ministère est clair : ce n’est pas à l’Education Nationale de faire cesser le harcèlement dans l’Education Nationale. C’est à qui, alors ? A Zorro, au Père Noël et à l’abbé Pierre ? A la justice, alors que les textes de lois ne sont pas adaptés ? Au site Omerta au rectorat ? Mais nous ne sommes que trois modestes observateurs, Marie, Jeanne, et Philippe, dont les billets ne sont lus que par quelques milliers d’internautes … Est-ce qu’il va donc falloir envisager que d’autres groupes de personnes aient recours à des modes d’actions plus radicaux, et plus médiatiques, afin de faire bouger les choses ? 😉

« Ces réseaux sont constitués de près de 18 000 correspondants en académie et dans les établissements. Les actions peuvent se dérouler selon diverses modalités : espace d’accueil et d’écoute, ateliers, groupes d’échanges de pratiques, diffusion de documentation, etc. Environ 10 000 personnes par an bénéficient des actions collectives de ces réseaux et 4 000 d’un accompagnement individuel.  »

10 000 personnes ? Ou sont passées les 190 000 autres victimes ?

La « diffusion de documentation » auprès des victimes, c’est pas un peu trop « punchy » contre les harceleurs ? Si on leur diffusait plutôt des dessins animés ? On se moque vraiment du monde…

« D’autres acteurs comme la Fédération des autonomes de solidarité laïque (Fas), avec laquelle le ministère de l’éducation a conclu une convention en novembre dernier, et la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) ont également mis en place des réseaux d’aide aux personnels en souffrance ou victimes de violence.

Ces dispositifs sont insuffisamment utilisés et inégalement répartis au niveau géographique. Les académies dresseront donc un état des lieux de l’ensemble des dispositifs d’appui opérationnels sur leur territoire, qui sera notamment facilité par la mise à disposition d’outils d’autodiagnostic.  »

Quelle blague ! On voit bien le DRH d’un rectorat « s’autodignostiquer », conclure qu’il fait mal son boulot, admettre de lui-même qu’il agit contrairement aux valeurs de la République, puis donner sa démission  et renoncer aux milliers d’euros mensuels de ses primes et salaire.

« Une fois ce travail de recensement effectué, chaque académie devra redéployer les dispositifs et les mettre en cohérence afin d’assurer un maillage territorial plus étroit et donc une accessibilité maximale.

L’objectif est que tout enseignant ou personnel d’éducation victime de violences puisse, quel que soit le lieu où il exerce, bénéficier d’une aide de proximité. Pourront notamment être présents sur ces lieux d’écoute des assistants sociaux, des psychologues, des infirmiers du travail, etc. « 

Ce n’est pas de psychologues dont ces victimes ont besoin. Qu’on cesse de les traiter comme des malades. Ce sont des victimes. C’est aux bourreaux qu’il faut s’attaquer. S’il faut soigner les bourreaux, qu’on les soigne, mais sans doute la plupart sont-ils incurables, et sans doute vaudrait-il mieux les virer de l’Education Nationale, qu’ils minent et détruisent de l’intérieur.

* * *

5) La psychiatrisation des victimes d’acharnement ? Roland VEUILLET peut en témoigner, lui qui a subi une hospitalisation d’office abusive, à seule fin de mettre un terme à ses revendications syndicales. Cela se passe en France, oui, oui. Voyez-ci-dessous et sur son site :

Dépôt de plainte pénale pour hospitalisation d’office abusive

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 » Mercredi 28 février 2007

Monsieur le Procureur de la République.

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Demande d’audience
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Dépôt de plainte pénale auprès du Procureur de la République

Je souhaite vous rencontrer au sujet d’un délit extrêmement grave commis à mon encontre, et attentatoire aux libertés individuelles et collectives.

J’ai été hospitalisé d’office en service de psychiatrie, alors que je poursuivais une action syndicale contre une décision du ministère de l’Education Nationale. Ainsi, un médecin et un maire, ont rédigé une H. O. « car je refusais de prendre des psychotropes, pouvant atténuer mes revendications. ».

J’ai déposé une plainte pénale, car je demande à ce que toute personne impliquée dans cette affaire soit punie conformément au lois.

Dans l’attente, je vous prie d’agréer Monsieur Le Procureur, l’expression de mes salutations respectueuses.

Roland Veuillet  »

http://roland-veuillet.eu.org/

* * *

6 Guy LANDEL aussi a vécu cela, et tout a été mis en oeuvre pour faire passer la victime pour un zinzin à interner d’urgence au Centre Médico-Psychologique de Tergnier, antenne de l’hôpital psychiatrique de Prémontré (Aisne).

http://www.guylandel.com

* * *

Les méthodes mises en oeuvre pour protéger les chefs d’établissement harceleurs ne sont pas toujours très subtiles. Depuis que Roland VEUILLET, Guy LANDEL et d’autres ont médiatisé les tentatives de psychiatrisation qu’ils ont subies, les harceleurs préfèrent pratiquer la rumeur à l’encontre de leurs cibles. Et malheureusement, trop d’enseignants (et parfois des sections syndicales entières !) acceptent de collaborer, de relayer et d’entretenir des calomnies concernant l’équilibre mental des victimes. De tout cela il faut parler librement. C’est le premier pas pour lutter contre ces pratiques si répandues qu’elles sont malheureusement en voie de se banaliser.

Psychiatriser les victimes de harcèlement, la ficelle est un peu grosse, mais elle marche encore. Parler de ce procédé et le démonter systématiquement, jusqu’à ce qu’il soit usé et se retourne enfin contre les pignoufs qui l’emploient et ceux qui osent les protéger, voilà un objectif pas plus mauvais qu’un autre.

Marie, Jeanne, et Philippe.

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Le lien vers le rapport du Ministère de l’Education Nationale :

http://www.education.gouv.fr/cid68983/prevention-et-lutte-contre-la-violence-en-milieu-scolaire%C2%A0-%C2%A0point-d-etape.html

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commentaires
  1. Osinski Sylvette dit :

    Harcèlement dans l’Education ?
    par John le Dim 27 Sep 2009 – 23:36

    .Un article récent sur Agora Vox revient sur le thème du harcèlement dans l’Education. Qu’en pensez-vous ?

    « Un totalitarisme dans la République

    Alors qu’il est question des suicides chez France Télécom, il est courant d’associer les phénomènes de stress et de harcèlement moral au travail à certaines méthodes de management. Pourtant, certaines administrations n’ont pas besoin d’être privatisées pour voir l’univers professionnel de leurs salariés se dégrader… Dans un régime totalitaire, le pouvoir vise le contrôle de tous les aspects de la vie de l’individu. Il s’agit de le maintenir dans un moule, et de réprimer tout comportement « déviant ». Or, si la République garantit en principe les libertés individuelles, il se pourrait que ses institutions en viennent paradoxalement à les réduire. Parce que c’est comme ça : une institution, quelle qu’elle soit, tend à s’assigner comme objectif sa propre conservation, au travers d’une image qu’elle veut aseptisée. Peut-être par esprit de corps, elle ne s’interdit alors aucun moyen pour écarter, voire éliminer, un agent susceptible de mettre au jour ses dysfonctionnements.
    L’Education nationale est un cas d’école, si j’ose dire. Officiellement, nous disposons de l’un des meilleurs systèmes éducatifs du Monde ; 80 % d’une classe d’âge parvient à un niveau Bac ; et lorsqu’un enseignant est agressé par un élève, ce n’est qu’« un incident isolé ». Mais nous savons que tout cela n’est pas vrai, et qu’il ne s’agit-là que du discours bien lisse d’une administration soucieuse de « ne pas faire de vagues ». Des ouvrages comme ceux de Maurice T. Maschino (L’Ecole de la lâcheté, chez Jean-Claude Gawsewitch) ou Véronique Bouzou (Ces profs qu’on assassine, également chez Jean-Claude Gawsewitch) permettent d’aller de l’autre côté du miroir et de mesurer l’ampleur du désastre : baisse du niveau, conditions d’enseignement dégradées, incivilités et violences quotidiennes, y compris dans des zones réputées « tranquilles ». Et surtout, le poids d’une hiérarchie déterminée à écraser les professeurs qui s’obstinent à refuser la folie du système.

    Ce point est essentiel, et nous nous empressons de l’illustrer par un exemple.

    Le relativisme des opinions et le dogme du « tout se vaut » ont fait de tels ravages que, dans certains établissements scolaires (parfois très calmes en apparence, notamment en milieu rural), une classe entière peut tenir régulièrement des propos racistes ou xénophobes. « C’est notre liberté d’expression ! », s’exclament en chœur des enfants qui ne font alors que reprendre les propos de leurs parents. Comme la parole du maître s’est trouvée constamment rabaissée par le pédagogisme depuis une bonne trentaine d’années, l’enseignant qui voudrait expliquer à ses élèves que « sale Arabe » n’est pas une opinion mais un délit (les textes officiels l’y obligent d’ailleurs) ne manquerait pas d’entrer en conflit avec trente énergumènes véhéments, surexcités en voyant leurs préjugés mis à mal.

    L’enseignant en question ne rencontrerait probablement que peu de soutien auprès de ses collègues : « Pfff ! Evite les sujets brûlants, fais tes heures et te pose pas trop de questions… ». De même concernant son chef d’établissement : « Allons, allons ! Du racisme ? De la xénophobie ? N’exagérez pas, et puis ne jetez pas d’huile sur le feu ! Ce ne sont que des provocations, et n’allons pas trop loin dans le raisonnement ! ».

    Il insiste néanmoins pour faire son travail, puisque, répétons-le, les textes officiels (qu’ils émanent du ministère de l’Education nationale ou de l’Assemblée nationale) l’obligent pourtant dans ce genre de situation à entreprendre un travail d’éducation à la citoyenneté en collaboration avec les autres membres de la communauté éducative. Aussi commence-t-il à faire figure d’« empêcheur de tourner en rond », de « professeur à problèmes » et, en quelque sorte, d’« homme à abattre ».

    Voilà qui dégénère en processus de harcèlement moral au travail. Ses collègues se désolidarisent de lui et le décrédibilisent éventuellement devant les classes qu’ils ont en commun. Avec les élèves, c’est de plus en plus difficile. Ses supérieurs en profitent pour monter un dossier destiné à le casser. C’est très facile à faire. Un principal ou un proviseur a la possibilité d’envoyer des rapports au rectorat à l’insu de l’intéressé, sans mentionner qu’il réagissait comme il le devait devant les propos de ses élèves, et en tournant les choses comme ça l’arrange au moment où ça l’arrange :

    « X. perturbe la bonne marche de l’établissement. Il se montre incapable d’instaurer un dialogue avec ses élèves et ses collègues. Il ne se remet pas en question et se refuse à tout changement de comportement. Rigide et paranoïaque. »

    Et oui, on psychiatrise beaucoup dans l’Education nationale… Très efficace pour enfermer un individu dans une version falsifiée de la réalité. Inspecteurs et responsables académiques, au nom de ce fameux esprit de corps, se borneront à suivre l’avis de la direction. Ils ignorent la version des faits de l’enseignant incriminé et ne chercheront pas à la connaître puisque, de toute façon, eux non plus ne veulent « pas de vagues ». Au final, l’institution trouvera un prétexte pour engager une « procédure disciplinaire » à l’encontre de la cible, lui donner un blâme (ce qui signifie « Couché ! »), la muter, voire la révoquer.

    Inimaginable ? Kafkaïen ? Totalitaire ? En effet.

    Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, soutient que la mafia napolitaine, pour réprimer les récalcitrants, utilise trois moyens de rétorsion : d’abord la diffamation, puis l’isolement, enfin l’exécution. Un tel schéma se retrouve dans tout système à dérive fascisante, ce qui est actuellement le cas de l’Education nationale. La mort de Sonia Bergerac (Isabelle Adjani) dans La Journée de la jupe (diffusé sur Arte l’année dernière) possède à cet égard une charge symbolique énorme. Il ne faut du reste jamais perdre de vue que nous nous trouvons en présence d’une organisation de masse, avec une multitude d’intervenants entre le sommet (le ministre) et la base (les enseignants devant les élèves). L’agent, et cela même si les intentions ministérielles et les textes officiels vont dans le bon sens, demeure dès lors tributaire de la qualité et de l’arbitraire des intermédiaires : recteurs, inspecteurs, chefs d’établissements…

    « Du fond de l’espace on ne vous entendra pas crier », avertissaient les producteurs d’Alien en 1979. Aujourd’hui, la réalité (de la classe) a dépassé la (science-) fiction.

    Daniel Arnaud

    Auteur de : Dernières nouvelles du front, choses vues dans un système éducatif à la dérive, L’Harmattan, 2008, 224 pp.

    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/un-totalitarisme-dans-la-62171

    http://www.neoprofs.org/t13396-harcelement-dans-l-education

  2. Merci d’avoir cité ce passage de l’ouvrage de Daniel ARNAUD.
    La psychiatrisation des enseignants considérés comme des obstacles n’est pas un mythe.
     » Diffamer, isoler, puis exécuter « , c’est tout à fait cela.
    Il faudrait que les syndicats aient un peu de courage et médiatisent les procès staliniens que sont souvent les commissions disciplinaires.
    Il faudrait que les enseignants relèvent la tête et fassent preuve de solidarité plutôt que de marcher dans ces combines et de témoigner à charge contre des collègues innocents.
    Espérons que cela puisse évoluer dans le bon sens !

    Marie, Jeanne et Philippe

    • N. dit :

      Je voulais vous apporter mon témoignage
      Anciennement directrice d’école dans un petit village, j’ai été mise en congé d’office et mise au ban de la société pendant plus de deux ans dont un an sans salaire.
      On m’a « juste » faite passer pour folle…Il est vrai qu’il fallait faire de preuve de folie pour s’opposer à un maire, véritable hobereau et à la machinerie « éducation nationale »!
      Refusant de me rendre auprès d’un « expert » psychiatre, j’ai tenu bon jusqu’au procès au TA qui a sobrement reconnu une erreur de droit…
      J’ai repris mon travail d’enseignante sans qu’aucun préjudice ne me soit reconnu.
      J’ai gardé les mêmes brillants inspecteurs. Ils vont très bien, merci pour eux.
      Bien sûr, les différents collègues qui ont participé à mon lynchage ont pratiquement tous obtenu une promotion.
      Il est vrai que je ne suis pas du coin.
      Il est vrai que je ne suis pas « dans le bon syndicat ».

      Bon, je suis encore en vie. De quoi me plaindrai-je?

      L’ Education Nationale n’est pas un mammouth, c’est un état (féodal) dans l’Etat, délirant et gaspilleur d’énergie, d’hommes et d’argent.

      • Bonjour,
        Merci pour votre témoignage. La situation que vous avez vécue est loin d’être isolée.
        Pouvez-vous nous en dire plus sur celle-ci ?
        Avez-vous songé à faire appel aux médias locaux ?
        Souhaitez-vous que nous relayions votre situation ?
        Marie, Jeanne, et Philippe

      • N. dit :

        Je peux vous en dire bien plus, mais c’est long!
        vous pouvez relayer ma situation si vous le souhaitez. Comme vous l’avez constaté, j’ai mis mon nom de famille. Je ne m’attendais pas à le voir figurer dans ma réponse. Quoi qu’il en soit, si vous pouvez et voulez m’aider, vous avez mon mail.
        Merci

      • C’est à vous de choisir de relayer ou non votre situation sur notre blog.
        Le mieux est de s’entourer d’un bon avocat, de vrais syndicalistes, et éventuellement de médiatiser les faits dans la presse locale et/ou sur notre blog, ou ailleurs.
        Nous sommes à votre disposition.

        Bon courage à vous et à bientôt.

        Marie, Jeanne, et Philippe.

  3. neveu dit :

    Un seul mot: bravo! Bravo et bravo! Vous ne savez pas à quel point cet article a pu me faire de bien tant il exprime parfaitement la situation. Je l’ai liké, envoyé à mes amis, et j’en parlerai encore dans longtemps.
    Figurez vous que […]. Harcelée par mon proviseur et ex syndicaliste. Passionnée par mon travail mais recevant chaque année dans mon casier la circulaire de mise au placard…des fois que j’en serais à bout (hein?). Comment je m’en sors?
    En me battant!
    Avec […], un bon avocat qui applique un principe simple mais efficace (le proviseur passe, le prof reste), effectivement de bons syndicalistes qui soient de vrais délégués du personnel et non des délégués du chef. […]
    Salut cordial et encore toutes mes félicitations pour ce bijou d’écriture.

    M.

  4. Dupont dit :

    Edifiant et réaliste. J’ai moi-même vécu le harcèlement d’un CDE protégé par le rectorat. Il avait déjà virés 3 autres avant moi. Il pratiquait le clientèlisme, se pavanait au monop du coin et suivait l’avis des parents.
    Les élèves harcelaient les profs à leur tour pour gonfler leurs notes. Le pire dans tout ça ? C’est la déléguée syndicale qui est d’accord et qui cafte sans parler des profs qui le craignent et s’écrassent.

  5. Barthe dit :

    Bonsoir,

    Merci pour cet article! Je comprends mieux. En effet ma maman est victime d’harcèlement moral de la part de l’Éducation Nationale. Maintenant mon petit frère est touché aussi. Elle veut se battre et a décidé de lancer une pétition il y a deux jours. Pourriez-vous nous aider à la diffuser s’il vous plaît? Je vois que son cas n’est pas isolé… Merci d’avance pour votre aide précieuse!

    Passez une belle soirée et bonne continuation.

  6. Méthyl dit :

    Depuis un an, certains de mes collègues (professeurs comme personnels de l’administration) et moi-même travaillons dans un contexte malsain et même « délirant » suite à la nomination d’une nouvelle principale (qui avait déjà un « casier » relativement chargé en terme de conflits avec du personnel et des parents d’élève dans un établissement fréquenté auparavant, avant une mutation heureuse au bout de même pas un an…). Non seulement, elle est peu présente au collège mais sait utiliser le collège pour elle-même (notamment en « réquisitionnant » un surveillant pour garder son enfant et l’un de ses camarades un jour de grève dans le primaire), elle est en plus incompétente (par exemple, elle ne sait pas « tirer » les listes d’élèves et elle ne maîtrise aucunement le projet de réforme pour la refondation du collège) et elle dénigre le travail qui a été fait avant elle. A cela s’ajoute des critiques très virulentes, gratuites et sans fondement envers quelques uns d’entre nous, toujours en huis clos, sans oublier les fameuses menaces : « vous savez avec ça les parents peuvent aller jusqu’à porter plainte et dans ce cas vous êtes mal ! ».
    Elle use et abuse d’autoritarisme pour évincer certains collègues de certaines fonctions, comme coordonnateur de telle matière.Elle a même défendu à 2 membres de l’administration de discuter avec certains professeurs, dont moi-même.
    Différentes instances hiérarchiques ont été contactées, de diverses manières, toujours sans réelle réponse, voire même sans aucune réponse.
    Sa réputation est déjà faite depuis plusieurs années et, a priori, en haut lieu ils connaissent et « surveillent » le cas mais nous laissent supporter au jour le jour cette situation qui s’avère difficile à vivre pour certains d’entre nous, sans parler du collège qui régresse, en raison d’un manque de suivi des enfants, de passe-droits accordés à certains élèves et d’une implication quasi inexistante dans les nouveaux projets institutionnels.
    J’ai donc une question, qui me reste en tête depuis son arrivée : « Que devons nous faire concrètement pour qu’il y ait une réaction, que cette « chefailllonne » de pacotille soit remise à sa place et cesse de dégrader les conditions de travail pour le personnel comme pour les élèves ? »

  7. Marc dit :

    Bonjour,
    Je vous écris pour vous faire part de ma situation.
    Je suis PE avec un autre PE, chacun complétant le mi-temps de l’autre.
    Ce PE n’a pas arrêté de m’imposer sa façon de travailler. M’interdisant d’enseigner des disciplines. M’obligeant à faire son travail. C’est sa classe. Il m’a même mis en cause auprès de parents d’élèves. Coups de fils et e-mails intempestifs. L’enfer au quotidien. J’avais peur d’aller travailler, me demandant ce qui allait encore me tomber dessus.
    Dans un premier temps, tout le monde me plaignait mais ne faisait rien. Disant de l’autre PE qu’il était malade (ses collègues ne l’appréciaient pas).
    Lorsque j’en ai informé l’IEN, tout a basculé. C’est moi le problème! J’affabule! Je suis fou!
    Et pour couronner le tout, les fameux collègues qui me soutenaient ont témoigné par écrit à la demande de l’IEN contre moi! Je mettais les enfants en danger.
    L’IEN a demandé une expertise psychiatrique.
    L’expert psychiatre a, au vu du dossier accablant monté par mon IEN, mis en doute tout ce que je disais pendant mon expertise psychiatrique. Résultat je suis inapte à tout poste et je suis licencié immédiatement de l’EN.

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